La Prison ...


La prison
Mon adresse a changé.
L’heure de mes repas,
Ma ration de tabac, ont changé,
Et la couleur de mes vêtements, et mon visage et ma silhouette.
La lune,
Si chère à mon cœur ici,
Est plus belle et plus grande désormais.
Et l’odeur de la terre : parfums.
Et le goût de la nature :douceurs
Comme si je me tenais sur le toit de ma vieille maison,
Une étoile nouvelle,
Dans mes yeux, incrustée.


Mahmoud Darouich
(1941 - 2008)

La Vérité ...

Idéalisme et réalisme, je vous aime,
Comme l'eau et la pierre vous êtes
parties du monde,
lumière et racine de l'arbre de la vie.

Non, ne me fermez pas les yeux.
lorsque j'aurai cessé de vivre,
j'en aurai besoin pour apprendre
pour regarder et comprendre ma mort.


Il me faut ma bouche
pour chanter après qu'elle aura disparu.
Et mon âme, et mes mains, mon corps
pour continuer à t'aimer, ma chérie.

C'est impossible, je le sais, pourtant je l'ai voulu
J'aime ce qui n'a que des rêves.
J'ai un jardin tout de fleurs qui n'existent pas
Je suis résolument triangulaire.
Et je regrette encore mes oreilles,
mais je les ai enveloppées pour les laisser
dans un port, sur un fleuve à l'intérieur
de la République de Malaguette.

Je suis las de porter la raison sur l'épaule
Je veux inventer la mer quotidienne
Un jour j'ai reçu la visite
d'un peintre de talent qui peignait des soldats
Tous étaient des héros et le brave homme
les peignait en plein feu sur le champ de bataille
mourant comme à plaisir

Et il peignait aussi des vaches réalistes,
si réalistes et si parfaites, si parfaites
qu'on se sentait, rien qu'à les voir, mélancolique
et prêt à ruminer jusqu'à la fin des siècles.

Horreur et abomination ! J'ai lu
des romans-fleuves de bonté
et tant de vers
à la gloire du Premier Mai
que je n'écris plus désormais
que sur le Deux du même mois.

Il semble bien que l'homme
bouscule fort le paysage
et cette route qui avait un ciel auparavant
maintenant nous écrase
de son entêtement commercial.

Il en va de même avec la beauté,
et comme si nous refusions de l'acheter,
ils l'emballent à leur goût et à leur mode.

La beauté, laissons-la danser
avec ses courtisans les plus inacceptables,
entre le plein jour et la nuit;
ne la contraignons pas à avaler
comme un médicament la pilule de vérité.

(Et le réel ? Il nous le faut, sans aucun doute,
mais que ce soit pour nous grandir,
pour nous rendre plus vastes, pour nous faire frémir,
pour rédiger ce qui pour nous doit être
l'ordre du pain tout autant que l'ordre de l'âme.)

Sussurez ! tel est mon ordre
aux forêts pures,
qu'elles disent en secret ce qui est leur secret,
et à la vérité: Cesse donc de stagner,
tu te durcis jusqu'au mensonge.
Je ne suis pas recteur, je ne dirige rien,
et voilà pourquoi j'accumule
les erreurs de mon chant.
Pablo Neruda

Il meurt lentement ...

Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.

Il meurt lentement

celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu

Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés.

Vis maintenant !
Risque-toi aujourd'hui !
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d'être heureux !


Pablo Neruda
Chili
(1904 - 1973)